|
Nouvelles Technologies
Le sabir cyber français, c’est évident, est riche de termes
venant d’Amérique. Mais attention au délit de faciès, pour les mots comme
pour les individus. Certains termes, comme icône, digital, console ou
moniteur, semblent à tort n’avoir jamais fait le voyage, quand d’autres, comme
browser, mail,
ou scanner, sont a priori soupçonnés, alors qu’ils peuvent exhiber devant la
police étymologique un arbre généalogique aux racines bien de chez nous. La
recherche de la pureté du langage n’est pas toujours sympathique, mais elle
peut parfois débusquer des termes qui ont toute les apparences de la
respectabilité. Nouvelles technologies en est un regrettable exemple.
Jacques Ellul (Le bluff technologique, 1988) a bataillé en vain une bonne
partie de sa vie pour rappeler que technologie voulait dire en bonne logique
« science des techniques » en français, et non technique tout court.
Mais nous sommes dans un pays où « Je n’y connais rien en informatique » est
asséné plutôt fièrement et d’emblée, alors que « Je n’y connais rien en
opéra » sera un aveu arraché après un interrogatoire musclé. C'est sans
doute pourquoi ici la technique ne
peut se promener que comme ces caniches tondus et enrubannés, avec un logos
accroché à la queue. Mais dans nouvelles technologies, c’est l’adjectif qui
est encore pire que le substantif.
Jusqu’à quand en effet utilisera-t-on ce terme pour désigner des techniques
qui ont presque toutes plus d’un quart de siècle de succès derrière elles ?
Internet a trente ans, les jeux vidéo presque autant, Bill Gates vient de
rappeler qu’il dirigeait Microsoft depuis vingt-cinq ans. Les jeunes
salariés ou dirigeants de ces activités sont nés dans un monde où tout cela
existait déjà. Le terme ne prend donc son sens que pour des « plus de
cinquante ans » passéistes : les « baby-boomers » accepteraient-ils sans
sourire qu’on leur parle de nouvelles technologies pour le radar, le
plastique ou le disque microsillon ?
Née au début des années quatre-vingt, l’expression y était plus légitime, et
ne s’employait qu’avec une précision : nouvelles technologies de
l’information, de communication, de média, etc. Dans la décennie suivante,
nouvelles technologies tout court fut la fusion de l’expression
universitaire « nouvelles technologies de l’information et de la
communication », parfois abrégé en NTIC, et de « nouveaux médias », plutôt
employé par les publicitaires. Aujourd’hui le terme prospère sur les mêmes
terres que cyber, interactif, multimédia ou parfois virtuel, pour désigner
tout ce qui utilise un microprocesseur, un écran et des informations
numérisées. « Vaste programme ! » aurait dit le général De Gaulle, mais
comme à propos de cyber, les puristes ont beau chipoter chacun de ces mots,
la réalité qu’ils cherchent à désigner existe bel et bien. Et si elle
cherche encore ses mots, c’est peut-être qu’elle est à l’image de ses
utilisateurs pour qui rien n’est pire que de ne plus être en enfance. Ne
faudrait-il pas relire la fin du « Meilleur des Mondes » d’Huxley, où la
recherche de l’éternelle jeunesse se paie un jour d’un vieillissement brutal
?
Tendance
Très forte. Quand Microsoft a voulu imposer Windows dans les
entreprises, les limites de ce système conçu pour les particuliers le
conduisirent à développer une version pro, qui fut nommée NT : Windows NT
pour New Technology. |
|