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Doit-on dire "Internet" ou "l'internet" ?
En apparence, le débat semble une classique opposition entre
l'usage (la version sans article est largement majoritaire) et la règle (la
logique voudrait l'article). On peut même lui donner un accent politique: il
s'agirait d'un combat entre les puristes de la langue et l'aristocratie
distinguée de la micro d'un côté (celui de l'article) et de l'autre côté le
peuple farouchement libre de dire ce qu'il veut. En fait, c'est plus
compliqué qu'il n'y paraît.
D'abord les arguments des puristes ne sont justement pas très purs. Il faut
dire l'internet, disent-ils, parce que c'est un nom commun et non un nom
propre. Internet n'est pas une marque, mais une chose, une abstraction, un
réseau de réseaux, une technique de communication. On ne dit pas "J'ai
téléphone chez moi", mais "J'ai le téléphone". Très bien, mais alors
pourquoi les mêmes puristes mettent-ils le plus souvent une majuscule à
Internet? A la différence de l'allemand, le français ne met pas de
majuscules aux noms communs, sauf à Dieu et à Etat, et à quelques autres de
ce calibre-là. Si l'article ravale internet à un nom commun, la majuscule
l'enfle ensuite bien au-delà de ce que la plus ambitieuse des marques
n'oserait espérer.
Un exemple (parmi cent) dans le récent dossier de la Fnac sur les appareils
photos numériques, page 17: "Fujilabnet: vos photos numérisées sur
l'Internet".
Le Monde (généralement partisan de l'article) dans son édition du 24
novembre consacre un article au rachat de Netscape par AOL: on trouve une
accroche en une avec l'expression "logiciels de navigation sur Internet",
sans article donc, puis page 18, deuxième colonne, "le jeune secteur de
l'Internet". Mais l'article se conclut par l'évocation du "marché
d'Internet". Le principe, maladroit, de l'article est bien difficile à
respecter.
D'ailleurs, si les puristes écrivent "ce micro permet de se connecter à
l'Internet", ils laissent volontiers passer "lien Internet" ou "site
Internet". Or, et la majuscule importe peu ici, on ne dit pas "prise
téléphone" mais "prise DE téléphone", "écran télévision" mais "écran DE
télévision". On devrait donc dire "site d'internet" et "liens d'internet",
si on suivait leur logique. C'est évidemment absurde. Il s'ensuit donc que,
contrairement aux apparences, Internet est bel et bien un nom propre. Il a
une majuscule et il s'utilise comme un nom propre, sans article. Ce n'est
pas une marque, mais c'est un nom propre.
Dire "l'Internet" est alors une variante de berrichon branché, comme dire
"l'Albert" ou "la Jacqueline".
En fait le français a utilisé le mot comme un nom de média. Comme dans "je
reçois Canal Plus", "décodeur Canal Plus", "antenne TPS", etc… Si les mots
génériques existent bien pour les médias traditionnels (LE satellite, LE
câble, LA télévision), l'internet (sans majuscule) s'est trouvé écrasé sous
Internet, dont on nous a expliqué lors de sa popularisation en France, qu'il
s'agissait d'un réseau bien particulier, d'une technique spécifique,
originale au sein d'un ensemble plus vaste (la télématique?) dont on avait
un autre exemple sous les yeux avec le Minitel (avec une majuscule).
Il y a donc bien une anomalie, et personne ne dit Web tout court (j'ai
trouvé un truc marrant sur Web ???) mais le web, d'ailleurs sans majuscule.
Mais cette anomalie est assez belle: un nom commun fonctionnant comme un nom
propre - l'inverse se voit plus souvent -, une marque sans propriétaire,
finalement dire internet tout court c'est rendre hommage à l'utopie qui a pu
présider à l'essor de ce réseau des réseaux. C'est la marque sans le
commerce, la propriété sans propriétaires, le capitalisme sans capitalistes.
C'est sans doute une ruse suprême, mais justement, n'y a t'il pas ce
précédent d'un renard rusé devenu Goupil ?
Tendance
Indécise. En France, les médias parisiens penchent pour
l'article, et leur poids n'est pas négligeable. En 1998 il n'y a encore
qu'un million de pratiquants. Le gros des utilisateurs est encore à venir.
Parions cependant que la simplicité s'alliera avec la logique pour bannir la
cohabitation contre nature de l'article avec la majuscule.
Dico
Le Petit Larousse Illustré accueille le terme en 1998 mais
l'ignorait en 1995. Avanie pour les partisans de l'article, Internet figure
dans la deuxième partie, celle des noms propres.
Encarta explique
Historique
Internet est issu du réseau Arpanet, qui fut conçu dans les
années 1960 pour le département américain de la Défense. Réseau à usage
militaire, Arpanet s’étendit alors progressivement aux universités
américaines dans les années 1970, avant d’être remplacé en 1990 par le
réseau Internet, destiné dans un premier temps à la recherche civile.
Complément à la suite de la publication dans Le Monde
Monsieur R.J. Chauvet m’a fait parvenir la photocopie de la
quatrième de couverture d’un livre de 1970, « Planning moderne et emploi de
l’ordinateur », chez Dunod, où l’auteur, Philippe Poré, précise qu’il a
participé activement aux congrès Internet de Vienne en 1967 et d’Amsterdam
de 1969 ! En 1970, précise ce lecteur, le mot Internet était pour un
informaticien « supposé suffisamment connu pour ne pas nécessiter
d’explication complémentaire ». Dont acte, mais il faudra donc, tel
Livingstone à la recherche des sources du Nil, remonter aux années soixante,
dans les limbes du « time sharing » (temps partagé, technique permettant à
l’époque de partager un même ordinateur entre plusieurs utilisateurs parfois
distants) pour découvrir, peut-être, le vrai inventeur du mot. |
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