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Avec le retard usuel sur l’Amérique, l’industrie française du web découvre
les difficultés de la mesure d’audience des sites web, la facilité avec
laquelle des exploitants peu scrupuleux peuvent gonfler les chiffres, et les
incertitudes d’une bonne définition du terme. Que ne lisent-ils les
dictionnaires, ces « professionnels » du web ! Et si l’on voulait démontrer
l’intérêt, que dis-je, la productivité, de l’étymologie, le mot audience en
serait l’exemple canonique. Mais Le Petit Larousse Illustré devrait suffire
à mettre la puce à l’oreille. Après les sens d’entretien (avec un
supérieur), de séance (d’un procès), vient un troisième d’abord qualitatif
(l’intérêt porté par un public à un propos) puis, mais seulement à la fin,
quantitatif : le nombre de personnes touchées par un média. Et voilà leur
faute à ces « professionnels » : trop pressés, il sautent les deux premiers
sens, estropient le troisième et découvrent sur le tard qu’un demi-sens ne
produit qu’une demi-mesure. Le Dictionnaire Historique de la Langue
Française nous apprend alors qu’audience, parmi une nombreuse fratrie,
partage le même ancêtre, le verbe latin audire (entendre), avec audiovisuel
et audit. L’audience c’est l’audit de l’audiovisuel, l’affaire est entendue.
Mais l’est-ce du web ? « Bien entendu », s’empressent d’affirmer les
Trissotins du secteur, d’autant plus péremptoires qu’ils ont soif de
pouvoir. Allons, montrez-moi votre audience, que je voie votre valeur.
Hélas, le web n’a pas d’audience, il n’a que des chiffres d’audience. Et ces
chiffres, pauvres hères, sont à la recherche de sens. Un exemple ? A la
télévision, dont la mesure d’audience n’est pas non plus parfaite, on évalue
le temps passé par un nombre de téléspectateurs devant une chaîne. Si vous
zappez pendant dix secondes devant une émission, vous « pèserez » dix fois
moins que quelqu’un qui y sera resté cent secondes, et si l’émission dure
une heure vous pèserez 360 fois moins que quelqu’un qui l’aura vu toute
entière. Sur le web ? Venir et trouver cela nul, et venir et y passer la
nuit comptent autant. Nous voila beaux ! Mais ce n’est pas tout : que
penserait-on d’un classement d’ « audience » où on trouverait pêle-mêle le
temps passé à utiliser les services de l’EDF (à peu près 24 heures par jour,
en comptant le frigo), celui passé sur son lit (Epeda et Dunlopillo au coude
à coude) et l’audience de TF1 ? C’est pourtant exactement ce que proposent
les mesures d’audience d’Internet où l’on va comparer les pages vues sur un
service indispensable, comme son fournisseur d’accès, à celles de son site
préféré, les pages d’un moteur de recherche (comme mesurer l’intérêt
touristique d’un lieu au temps passé avec le guide) et celles d’un journal.
Comme le lapin en retard d’Alice au pays des merveilles, le secteur arbore
une montre de gousset qui ne marche pas, ne veut pas le savoir, mais court à
toute vitesse et l’invoque à tout propos. Pourtant, le premier chapitre des
« Webonomics » d’Evan Schwartz est formel : dans l’économie du web,
l’audience ne compte pas, ce qui compte c’est la qualité de l’expérience
vécue par l’internaute. Ça ne se mesure pas ? Si : par les recettes
engrangées par le site.
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