|
Encore un de ces nombreux termes français qui, tel des Eric Cantona, sont
allé chercher dans le monde anglo-saxon ce supplément de gloire qui les
fuyait sur leur sol natal. Un menu, en micro-informatique, est généralement
déroulant : c’est une liste d’actions possibles qui s’affiche quand on
sélectionne un mot dans la « barre de menu ». Ainsi la plupart des logiciels
comportent en général en haut et à gauche le terme « fichier » qui permet,
quand on le sélectionne, d’ouvrir par exemple un document ou de
l’enregistrer sur le disque. On dit que ce menu est déroulant parce qu’en
général il se « déplie » : au repos, il est invisible, « replié » sous le
mot qui lui sert de titre. En outre, certains items de la liste font
apparaître à leur tour un sous-menu plus spécialisé. Cela paraît aujourd’hui
évident, mais ça n’a pas toujours été comme ça. Bien qu’ils l’aient précédé,
les menus sont associés à la notion d’interface graphique mise au point par
le PARC, le centre de recherches de Xerox, et popularisée ensuite par le
Macintosh. En réalité de nombreux logiciels utilisaient les menus sans avoir
d’interface graphique, notamment le tableur Lotus 1-2-3 de 1983. Mais il est
vrai que la plupart, il y a encore une vingtaine d’années, cachaient toutes
leurs fonctions dans leur manuel et demandaient d’apprendre par cœur les
codes ésotériques qui permettaient les opérations les plus simples. La
généralisation des menus dans l’interface des logiciels fut donc considérée
comme une des conditions du succès de la micro-informatique. Pourtant,
aujourd’hui encore, certains programmes très populaires, comme la plupart
des jeux vidéo, ou encore le logiciel Napster, n’utilisent presque pas les
menus. C’est parce que leur utilité est claire et leur usage simple. Il n’y
a pas besoin de cacher la complexité en regroupant d’innombrables fonctions
sous des catégories. Car l’apparente simplicité d’une interface à menu
relève surtout du maquillage. Et souvent, le maquillage craque et
apparaissent les boutons. Car il y a bien longtemps que nos barres de menus
se sont doublées, et parfois triplées, de barres de boutons, joliment
baptisées icônes, qui trahissent que même à rallonge, les menus ne suffisent
pas. C’est qu’un mot français ne fait pas toujours impunément l’aller-retour
vers l’anglais. Au restaurant, le menu désigne la liste des plats proposés
au convive. Ce sens de liste est venu du fait que cette dernière présentait
par le menu, c’est-à-dire en détail ce qui était proposé au palais. Ce sens,
toujours actif, venait à son tour de ce que menu signifie depuis le 12°
siècle petit, comme en latin minutus dont il est dérivé. On parle ainsi
encore de menue monnaie. Le français étant la langue du restaurant, le terme
est passé en américain, disponible ensuite pour désigner n’importe quelle
liste, en principe de bonnes choses. Mais dans un restaurant français le mot
menu possède en fait deux sens : l’objet, en carton, sur lequel sont
inscrites les propositions et d’autre part, par opposition au choix à la
carte, un regroupement de mets, sous un prix unique, qui permet de faciliter
le choix. Mais les logiciels ne retiennent pas cette subtilité. Ce qu’ils
appellent menu ressemble plutôt à ces cartes de restaurant chinois où
d’innombrables plats aux noms étranges finissent par être désignés par des
codes (« je voudrais un T4, puis un U3 avec un U42 »). L’équivalent de ces «
raccourcis claviers » qui court-circuitent les menus quand, enfin, on sait
se servir d’un programme. |
|