Un logiciel libre est un programme informatique dont le code source est publié et qu'il est possible et même recommandé de modifier à sa guise. Libre signifie ici au moins deux choses : d'abord "libre de droits", par opposition à ces programmes commerciaux dont on n'achète en fait que le droit d'utilisation sous certaines réserves écrites en petit dans cet écran ennuyeux qu'on ne lit pas au début ("oui, j'accepte") mais qui sont souvent très contraignantes, voire juridiquement aberrantes. Ensuite, le mot libre évoque un combat, politique, contre ni plus ni moins que le capitalisme, du moins appliqué au logiciel. Vaste programme. Lancée en 1984 par Richard Stallman, un professeur du MIT, la Free Software Foundation (Fondation du Logiciel Libre), est devenue une institution, sinon un vrai contre-prouvoir. C'est de sa mouvance que se réclame le plus célèbre logiciel libre, Linux, système d'exploitation présenté comme une alternative à Windows. Ceux à qui un tel programme inspire une adhésion spontanée liront avec passion "Libres enfants du savoir numérique", aux éditions L'Eclat, anthologie de textes préparée par O. Blondeau et F. Latrive. Bien que le mouvement en question plonge ses racines dans les années soixante (l'idée même de l'ordinateur individuel relevait à la fin des années soixante des mêmes valeurs), bien qu'il se soit institué il y a plus de quinze ans aux Etats-Unis, son audience en France n'est significative que depuis trois ou quatre ans. C'est que l'audience du mouvement "logiciel libre" est étroitement dépendante de l'existence d'une base "populaire" de l'informatique. Non pas que ses militants se recrutent chez les utilisateurs de base, bien au contraire, mais cette utopie intelligente est en réalité, bien qu'elle s'en défende, la croisade pathétique des informaticiens dépossédés de leur pouvoir. Car au fond, qui pourrait avoir l'idée saugrenue de modifier le code source d'un programme ? Transposons l'idée à la mécanique. La voiture libre serait la voiture que l'on peut modifier voire reconstruire à sa guise. Mais c'est justement ce qu'on n'a surtout pas envie d'avoir à faire. Faire son pain, coudre ses habits, faire sa propre musique, tout cela est bel et bon, mais et si on avait encore mieux à faire ? Comme toute utopie, celle du logiciel libre cache aussi la nostalgie d'une dictature. Celle des pros, des hackers, des informaticiens diplômés. Pas très éloignée de l'idéologie du retour à la terre, aux "vraies" valeurs perverties par l'artifice de la ville. On connaît la chanson. C'est vrai qu'entre la Charybde des conditions d'utilisation des logiciels commerciaux, et la Scylla des spécialistes ("Attend, je recompile, ça va marcher ce coup-ci"), on peut hésiter un instant. Mais à tout prendre, le vrai logiciel libre, s'est encore celui en vente dans des boites à la Fnac, parce que nous sommes nombreux à préférer payer quelques dizaines de francs de droits que de nous taper un informaticien. Le logiciel commercial nous libère des informaticiens. C'est ça la vraie révolution de la micro-informatique.