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Dans la petite république des mots, il y a de nombreux Don Quichotte prompts aux combats injustes et inutiles contre l'américanisation. Injustes s'il s'agit de combattre des mots comme mail (malle à l'origine) qui ne font que nous revenir, changés comme il se doit par ces voyages qui forment la jeunesse. Combats inutiles quand l'usage d'un américanisme procède de la volonté de se faire comprendre, ainsi du mot upgrade (transformation d'une machine ou d'un logiciel en une version plus récente et améliorée). Mais si l'on cherche un bon combat, il faut se battre contre l'usage du mot pouce, unité de longueur anglo-saxonne valant 2,54 centimètres. La taille de l'écran des micro-ordinateurs est constamment mesurée ainsi. Un très grand écran dépasse 20 pouces, un petit se contente de 15. C'est une anomalie ridicule qui indignera tout lecteur du "Mètre du monde" de Denis Guedj, ouvrage consacré à l'invention du système métrique dans la foulée de la Révolution Française. Parfois, l'américanisation se pare, avec quelques arguments, des atours de la modernité et de l'universalisme contre les archaïsmes locaux. Mais, avec pouce, elle est prise la main dans le sac du pur usage de la force. Car il n'y a aucune bonne raison d'utiliser en France des mesures en pouces : d'abord on n'y comprend rien, ce qui devrait suffire, mais ensuite un autre système plus efficace existe, censé être accepté par la planète entière après l'accord pacifique des scientifiques. Espoir secret des vendeurs d'abuser leurs clients ? Snobisme de technicien ? Fainéantise des traducteurs de notices ? Un peu de tout cela, relevé d'un zeste de bêtise. Cette unité d'ancien régime nous vient du latin. Côté anglais, pouce se dit inch et vient d'uncia, qui voulait dire un douzième et qui donna chez nous once. Côté français, pouce vient de pollex, gros orteil, et devint une unité de mesure, naturellement, comme subdivision du pied. Nous en gardons le souvenir dans des expressions comme ne pas céder un pouce de terrain. Cependant, s'il y a des raisons de s'emporter, il n'y en a pas de s'inquiéter. Cette anomalie que la technique a engendré, c'est sans doute la technique qui va la résorber. Un premier exemple en est donné par les disquettes, sans doute les premiers objets cyber domestiques à être mesurés en pouces. En 1981, la disquette souple était aussi souvent appelée 5"1/4, ce qui se lisait "cinq pouces un quart". Elle fut remplacée par la disquette 3"1/2, rigide et de plus grande capacité. Plus encore que les écrans, ce sont les disquettes qui ont répandu ici l'usage du pouce. Mais elles tombent en désuétude sous nos yeux, et que le Diable les emporte ! Et quant aux écrans, à mesure que la grenouille micro se rapprochera du bœuf téléviseur, poussée par le vent du multimédia, elle en apprendra la politesse : espérons qu'il ne viendra pas à l'esprit d'un vendeur de Darty de transformer une télé de 70 centimètres en un moniteur de 27 pouces. Sauf s'il veut avoir demain pour ses télés aussi peu de clients qu'il n'en a aujourd'hui pour ses moniteurs. |
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