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Ce qualificatif, de prime abord, ne mord pas. On pourrait dire qu’il « ne mange pas de pain ». Vous lisez en ce moment « Le Monde Interactif » (1) et ça ne semble pas très différent, au moins au toucher, du « Monde » tout court. Grossière erreur ! Vous venez de rencontrer un boss de fin de niveau de la modernité et, comme il avait l’air familier, cet « interactif » vient de vous faire tomber sans crier gare dans le panneau. Vous voila englué irrémédiablement dans le XX° siècle, pris au piège comme dans le film « Un jour sans fin ». Le bug de l’an 2000, c’est vous. Leçon 1 (de rattrapage) : ce qui n’est PAS interactif relève de la marine à voile, de la lampe à huile, quand on ne doit pas le soupçonner, puisqu’il propose une consommation passive, d’entretenir de coupables accointances avec le totalitarisme, la religion révélée, l’ordre, bref le fascisme, au moins. Interactif aujourd’hui, partout, possède la même charge positive que prolétarien chez un communiste des années cinquante, ou communion chez un chrétien. Ce mot a beaucoup bossé pour en arriver là, il ne faut pas croire. D’origine anglaise et attesté dès 1832 par le Webster, il a, comme tout enfant bien né, deux parents: la science et la philosophie. Pour les scientifiques, l’interaction désigne l’action réciproque de deux phénomènes, par exemple en biologie une population de proies et une autre de prédateurs. Pour les philosophes, cela commence peut-être avec Descartes et son idée que le corps et l’âme interagissent (c’est de là que part le courant de l’interactionnisme, on trouvera ainsi un texte de Karl Popper de 1953 sous-titré « une refondation de l’interactionnisme). Par la suite, ces deux filiations, la froide scientifique et technique, et la chaude des sciences sociales au sens large, vont assurer le triomphe final du terme, jusqu’à le rendre inaudible tellement il va de soi. Ivan Ilitch dans les années soixante prônera un enseignement interactif contre les méthodes d’enseignement traditionnelles. Et les informaticiens opposeront les programmes « en batch » (qui se déroulent du début à la fin sans intervention humaine) et les programmes « conversationnels » dans lesquels – innovation troublante- un opérateur humain doit de temps en temps donner son avis. L’informatique interactive était née, prélude à l’interactivité tout court. Depuis on a connu le théâtre interactif (The Living Theater), les encyclopédies interactives, le câble interactif (nombreux débats dans les années 82-85) et même la publicité interactive. Qu’importe que le terme serve le plus souvent à enfoncer des portes ouvertes, son succès procède d’un excellent sentiment : on veut en être. Aujourd’hui, sur le web, un ensemble de techniques est au service de cette aspiration, pour le pire comme le meilleur, et l’adjectif interactif signifie de plus en plus que « c’est sur le web ». Interactif, parfois synonyme de « non-linéaire », « ouvert », « multimédia », « démocratique », d’autres encore, a toutefois un handicap : ses quatre syllabes, pas très grand public. Mais la pub y a pourvu, du moins le croit-elle. D’adjectif, il se mue en préfixe, réduit à l’ambitieuse lettre « i ». I comme interactif, un mot qui veut posséder toute une lettre, petit ambitieux, va... TendanceInteractif n’est plus tendance, depuis quatre ans au moins. Mais ce n’est pas un échec, c’est qu’il n’a plus rien à prouver, un peu comme Sampras en tennis. DicoSans intérêt (1) La première version de ce texte a été publié dans "Le Monde" |
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