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La puissance d'un ordinateur est une notion indéfinissable. Et pourtant nous
en avons besoin. Qu'on achète à la rentrée un nouveau micro pour soi ou un
enfant, qu'il soit portable, de bureau, de poche, pour un particulier ou
pour une entreprise, sa puissance sera la première condition de
l'investissement. Version rationnelle consumériste: est-il suffisamment
puissant pour durer trois ans ? Version utilitariste : me permettra-t-il de
bien faire fonctionner tous mes programmes, ceux que j'ai et ceux que
j'espère avoir ? Version sociale : va-t-on m'admirer de posséder une telle
bête de course ? Ces trois questions unissent dans un même léger désarroi la
plus grande entreprise comme le plus radin des particuliers. Car il n'y a
aucune réponse convaincante. Certes, puissance a un double sens, tous deux
convoqués dans la question. La puissance, c'est d'abord la potentialité :
qu'est-ce que je peux faire ? On révère les puissants, on se moque des
impuissants. La puissance est aussi une quantité physique mesurable, assez
bien comprise par tout le monde quand il s'agit d'une voiture. Mais les
fabricants d'ordinateurs sont très embarrassés par le premier sens, dépassés
par le succès de leur propre propagande emphatique : depuis cinquante ans,
un ordinateur est puissant, en soi. C'est une propriété publicitaire de
l'objet lui-même. On peut tout faire avec, nous a-t-on beaucoup dit. Tout,
c'est-à-dire beaucoup trop. Et n'importe qu'elle machine, même d'occasion,
dispose des mêmes potentialités, au premier sens du mot puissance. A
condition de pouvoir se raccorder à Internet. Mais, depuis longtemps, toutes
le peuvent. Passant alors au second sens du mot, les vendeurs glissent de la
puissance à la vitesse, avec celle du processeur, mesurée en mégahertz. A la
fréquence d'un hertz, du nom du physicien allemand Heinrich Rudolph Hertz,
dont le neveu eut le prix Nobel de physique en 1925, un processeur
accomplirait une action par seconde. En 2000, plus personne n'achète un PC
qui "va" à moins de 400 millions de cycles par seconde, et le giga-hertz a
été dépassé cette année. L'Apple 2, en 1978, allait mille fois moins vite.
Hélas, malgré ces exploits de la micro-électronique, il y a quelque temps
que la "vitesse" du processeur est une très mauvaise mesure de ses qualités.
En doublant la vitesse d'un processeur on n'augmente les performances d'un
système que de quelques pourcents. La taille de la mémoire, l'architecture
du système en question, la carte graphique, la façon de fonctionner des
logiciels utilisés et bien d'autres choses encore influencent tout autant
les performances finales du système. Il n'y a rien de mystérieux, mais
beaucoup de confusion. Finalement tout cela n'est pas grave, espèrent les
gens de marketing : l'indécidabilité pratique de la puissance d'un
ordinateur ne nuit pas à la croyance en sa toute-puissance en général.
Pourtant, on peut prendre le pari inverse : il n'y a pas de puissance, il
n'y a que des preuves de puissance, et dans les deux sens du terme. Si
l'industrie informatique l'oublie, elle connaîtra une grave crise. |
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